Qu’a fait l’État belge des fonds libyens? Le courrier qui remet Monbaliu sur le gril

POLITIQUE BELGE L’ex-patron de la Trésorerie a-t-il menti par omission à la CTIF? « Paris Match » révèle le contenu d’une lettre inédite.

C’est une missive au contenu pour le moins interpellant que nos confrères de Paris Match ont pu se procurer et dont ils font état dès ce jeudi dans leur édition hebdomadaire. L’affaire des fonds libyens gelés dont la Belgique a libéré les intérêts contre l’avis des Nations unies n’a décidément pas fini de faire parler d’elle. En témoigne cet échange de courriers datés de 2015 entre le patron de la Trésorerie de l’époque, Marc Monbaliu, et le président alors en place de la Cellule de traitement des informations financières (CTIF), Jean-Claude Delepière.

Dans une lettre datée du 28 mai 2015, ce dernier interroge Marc Monbaliu, gardien du Trésor belge donc, pour savoir en somme ce que l’État belge a fait des fonds libyens. Y a-t-il eu dégel ou pas? « Je souhaiterais connaître l’état actuel des procédures de gel mises en œuvre en 2011: les fonds libyens sont-ils toujours gelés auprès d’institutions bancaires en Belgique, ou les autorités belges ont-elles décidé de procéder au dégel de tout ou partie de ces fonds? », telle est précisément la question jadis posée par Jean-Claude Delepière.

Pour mémoire, la Trésorerie, sous l’autorité du ministre des Finances, a été désignée comme l’autorité compétente en Belgique pour appliquer les sanctions internationales prises en 2011 contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi, incluant le gel des avoirs libyens à l’étranger. Sur décision du Conseil de sécurité des Nations unies, la Belgique et les autres États membres ont ainsi été priés de geler les fonds détenus par le clan Kadhafi et son régime. En Belgique, l’ex-leader déchu et l’État libyen détenaient quatorze milliards d’euros actualisés, répartis entre diverses banques dépositaires. L’essentiel de ces avoirs est toujours logé chez Euroclear Bank SA à Bruxelles.

DEUX MILLIARDS D’EUROS DÉGELÉS… DÈS 2012

Sur la base d’une interprétation juridique aujourd’hui toujours contestée et contre l’avis du comité onusien de sanctions à l’égard de la Libye, les autorités belges ont procédé dès 2012 au dégel des intérêts de ces fonds, soit deux milliards d’euros restitués aux ayants droit en cinq ans. Le hic, c’est que l’on ignore toujours à ce jour qui a réellement bénéficié de ces rémunérations et à quoi elles ont pu servir.

Dans une lettre datée du 17 juin 2015, Marc Monbaliu adresse une réponse au courrier de la CTIF en ces termes: « Le dégel de ces fonds n’a été ou n’est possible que dans le cadre des règlements européens, soit par retrait de personnes ou entités des listes, soit par la procédure d’autorisation de dégel donnée par mon administration ». Et de conclure: « À ce jour, aucune autorisation n’a été accordée ». Techniquement, l’ancien patron de la Trésorerie ne ment pas. Mais il ne dit pas toute la vérité. Comme le souligne le journaliste d’investigation Frédéric Loore dans les colonnes de Paris Match, Marc Monbaliu « dit vrai dans la mesure où, à ce moment-là, le SPF Finances n’a pas débloqué le moindre euro du capital de 14 milliards ». « En revanche, observe le journaliste, Marc Monbaliu ne mentionne absolument pas le fait qu’à cette date, et depuis près de trois ans, les intérêts dégelés de ce pactole faramineux quittent allègrement la Belgique à raison de 400 millions d’euros par an. Le manège va d’ailleurs se poursuivre jusqu’à ce que la justice le stoppe, en octobre 2017″. Pour quelles raisons l’ancien patron de la Trésorerie n’a-t-il pas jugé opportun d’informer la CTIF de cet élément-là? Pour rappel, cette dernière est une autorité administrative indépendante qui entend lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Malgré notre insistance, Marc Monbaliu n’a pas donné suite à notre demande d’explications. De son côté, l’ancien président de la CTIF, Jean-Claude Delepière, se montre plus loquace lorsqu’il explique à Paris Match comment en passant sous silence le dégel des intérêts, Marc Monbaliu et les fonctionnaires du Trésor ont contrevenu à la loi de 1993 sur le blanchiment. « On ne m’a pas dit toute la vérité », fustige-t-il ainsi dans le magazine.

Marc Monbaliu a déjà été pris en flagrant délit de mensonge par Le Vif/L’Express lorsqu’il avait affirmé en novembre 2018 devant le Parlement avoir agi dans ce dossier « sans concertation avec le gouvernement », soit tout le contraire de ce qu’il avait confié deux mois plus tôt à l’hebdomadaire.

 

Par Alice Dive de La Libre publié le jeudi 11 avril 2019 à 08h49