Justice: Un médecin belgo-congolais victime d’une spoliation

Depuis le mois d’août de cette année, le médecin interniste belgo-congolais Parfait Salebongo Ebwadu et sa famille vivent cauchemar absolu. Chaque lundi et samedi, des visiteurs d’un genre particulier, accompagnés de policiers, défilent dans leur maison située dans la commune bruxelloise de Jette. Durant deux heures, ces personnes scrutent le salon et les chambres. Sans oublier la cuisine et le jardin. Aux termes d’une ordonnance rendue par le juge des saisies du Tribunal de Première Instance de Bruxelles, ce bien immobilier – acheté en 2003 à plus de 300.000€ grâce à un crédit hypothécaire – est mis en vente aux enchères. Et ce pour « désintéresser » l’ancien employeur du médecin en l’occurrence les hôpitaux Iris-Sud qui lui réclame des dommages-intérêts et des frais de procédure d’un montant total de 15.645,60€. Là où le bât blesse dans cette histoire c’est notamment le fait que les jugements de la chambre du travail de la juridiction précitée n’ont jamais été prononcés en « audience publique » comme l’exige l’article 149 de la Constitution belge. Ces décisions sont expédiées par lettre recommandée. Des pratiques quasi-mafieuses pour des autorités judiciaires de l’Etat de droit qu’est censé être le Royaume de Belgique…

 

L’affaire Salebongo

 

« Dépouiller quelqu’un de quelque chose par force ou par ruse ». « Dépouiller [quelqu’un] par la force ou par fraude ». « Dépouiller quelqu’un d’un bien par violence, par fraude, par abus de pouvoir ». Telles sont les quelques définitions du verbe « spolier ». Osons appeler le chat par son nom: Parfait Salebongo Ebwadu fait face à une spoliation qui ne dit pas son nom.

Dans une correspondance datée du 7 juillet dernier, le notaire bruxellois Guy Dubaere informe le couple Salebongo qu’il a « été désigné pour procéder à la vente publique » de leur maison située à Jette, Clos Ingrid Bergman, 27. « Je vous reviendrai rapidement pour vous informer des dates de visites », précise-t-il en exhortant « Parfait » de ne pas « empêcher le déroulement » de ces visites de peur qu’il y ait un « impact négatif sur l’intérêt des amateurs éventuels pour votre bien et une influence négative sur la vente de celui-ci au meilleur prix ».

UN NOTAIRE PARTIAL

Pour en savoir un peu plus, l’auteur de ces lignes a contacté lundi 30 octobre l’étude du notaire Dubaere. Réponse d’une dame qui était au bout du fil: « Monsieur, nous ne répondons pas aux journalistes ». Etrangement, la personne n’a même pas pris soin de demander de quoi il s’agissait. Que cherche-t-on à cacher en ce siècle de la communication et du regain démocratique où toutes les institutions mettent un souci particulier à jouer la carte de la transparence?

En grattant un peu, il apparaît que Salebongo et son épouse entretiennent des relations heurtées – c’est un euphémisme – avec ce notaire. Le couple reproche à celui-ci un parti pris certain.

Conseil des Salebongo, l’avocat Philippe Vanlangendonck l’a fait savoir au notaire dans une correspondance datée du 7 septembre 2017. « Dans le cadre de l’exercice de votre mission, mes clients considèrent que vous portez atteinte au principe d’impartialité auquel le notaire est soumis, lequel principe signifie, notamment, que le notaire commis ne peut, avant sa désignation et durant le déroulement des opérations de liquidation ni avoir un parti pris à l’égard de l’une des parties, ni donner l’impression qu’il en est ainsi ».

Autres incongruités, le greffier en chef de la chambre des saisies du Tribunal de Première Instance Francophone de Bruxelles adresse à Salebongo une lettre en date du 28 février 2017 en écornant son nom qui devient « Salebongo ». Dieu seul sait la rigueur et l’exactitude exigées tant aux magistrats qu’aux auxiliaires de la justice dans l’orthographe des patronymes des parties à un procès.

Pire, dans la même correspondance, Sylvain Silber est présenté comme étant l’avocat du Belgo-Congolais alors qu’il est le conseil du camp adverse. Les erreurs prennent la dimension d’une mauvaise foi délibérée. Enfin, tous les jugements sont transmis par lettres recommandées en violation de l’article 149 de la Charte fondamentale de l’Etat belge: « Tout jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique ».

DE QUOI S’AGIT-IL?

En 2005, Docteur Parfait Salebongo Ebwadu signe un contrat de collaboration avec le conseil d’administration des hôpitaux Iris-Sud (Ixelles, Baron Lambert, Bracops, Molière Longchamps).

Entre janvier et avril 2011, le médecin constate que ses honoraires sont amputés de plusieurs milliers d’euros. Il saisit l’Ordre des médecins. Cette corporation le renvoya au Conseil médical.

Le 9 mai 2011, Daniel De Mey, directeur général des hôpitaux Iris-Sud (HIS) notifie au Belgo-Congolais la fin de son « contrat de collaboration avec HIS ». « Sur proposition du directeur médical, note-t-il, une procédure visant à mettre fin à votre collaboration avec HIS a été diligentée et ce, conformément à l’article 137 de la Réglementation générale ». Et d’ajouter: « Votre préavis sera de quatre mois et débutera le 1er juin 2011. (…) « . Quid du motif de rupture du contrat? Mystère.

Pour donner un « habillage juridique » à cette décision aux contours maffieux, De Mey monte une histoire rocambolesque. Un certain docteur A. Grandjean qui se présente comme étant un « utilisateur régulier » des services de l’hôpital Joseph Bracops depuis plus de quarante ans, dit avoir constaté un « manque de rigueur » au service de médecine interne.

Selon Grandjean, « le contact avec les médecins responsables (Dr Colfaert et Dr Salebongo) est devenu distant et les réponses aux demandes de renseignements médicaux se sont avérées vagues et peu scientifiques ».

Saisissant la balle au bond, en date du 25 novembre 2011, le médecin-chef B. Denef adressa une lettre recommandée à Salebongo: « Je suis informée d’un problème survenu ce 24 novembre 2011 dans le service de dialyse rénale du site hospitalier Joseph Bracops. Vous auriez quitté le service alors que 16 patients étaient en cours d’hémodialyse, sans avoir prévu de remplacement par un autre médecin ». « Si ces faits s’avéraient réels, ajoute-t-il, cet abandon de poste constituerait une faute grave étant donné que la surveillance des patients en cours de traitement aurait été interrompue et de ce fait vous n’auriez pas assuré la continuité des soins ».

UNE ETRANGE LETTRE RECOMMANDEE

Denef de poursuivre: « (…), je souhaite vous entendre dans vos explications et ce dans les plus brefs délais et vous convoque à cet effet en mon bureau sis rue Baron Lambert n°38 à 1040 Bruxelles, ce lundi 28 novembre 2011 à 17 h. Je compte sur votre présence. (…) ».

Le même lundi 28 novembre à 17h15, Salebongo est interpellé par le médecin-chef Denef qui feint de s’étonner de son absence au rendez-vous.

Au lieu de se démonter, le médecin belgo-congolais se rend au service central de la Poste afin de vérifier l’historique de cette missive « recommandée ». La vérité éclata aussitôt. « La lettre recommandée du docteur B. Denef a été déposée à la poste le même lundi 28 novembre 2011… à 18h6′ », lui dit un préposé.

A propos des griefs articulés à son encontre par A. Grandjean, Salebongo a pu donner sa version des faits: « Ce jour-là, je devais me rendre au Conseil d’Etat. Aucun patient n’a été mis en danger pour la simple raison qu’un collègue avait pris le relais jusqu’à mon retour. C’est une pratique courante entre médecins ».

Contre toute attente, le médecin se voit accuser de « faute grave » par la direction de l’hôpital Bracops où il était affecté. Il lui est signifié néanmoins un préavis de six mois. Une faute grave pour le moins étrange.

Pour Parfait Salebongo, il s’agit d’une « rupture irrégulière ». C’est ainsi qu’il décide de saisir les juridictions compétentes en référé. Le verdict tombe à ses dépens. Il est condamné à payer des dommages et intérêts à la partie adverse et ce y compris les frais d’instance pour « action téméraire et vexatoire ». Au motif que le conseil d’administration était bien représenté par Daniel De Mey.

VOUS AVEZ DIT ETAT DE DROIT?

Dans une interview accordée à Congo Indépendant, début février 2014, l’avocat François Sabakunzi, alors conseil de Salebongo, n’est pas allé par quatre chemins en contestant la qualité que revendique De Mey. « Depuis le 30 octobre 2012, mon client conteste la qualité brandie par M. De Demey pour la simple raison qu’il n’existe aucun acte le nommant à ce poste ». Il n’avait donc aucun pouvoir pour rompre le contrat conclu entre le médecin et le conseil d’administration de HIS.

Sabakunzi de rappeler l’origine des ennuis de son client: « Docteur Salebongo a réclamé ses honoraires qui ont été amputés, détournés ou volés. (…). Son crime est d’avoir dit la vérité en réclamant son dû. En réclamant ses honoraires injustement amputés, il a mis à nu les irrégularités d’un système ».

Pour lui, seul le conseil d’administration des hôpitaux Iris-Sud « était qualifié pour mettre fin au contrat sur base de l’article 141 du règlement d’ordre intérieur dont copie a été remis à mon client au moment de la signature dudit contrat ».

En attendant, Parfait Salebongo et sa famille sont victimes d’une spoliation. Leurs enfants sont en passe de subir un « traumatisme » du fait des visites incessantes des candidats acheteurs.

Le médecin belgo-congolais qui est loin d’avoir apuré le crédit immobilier contracté auprès d’une banque de la place ne sait plus à quel saint se vouer. Vous avez dit Etat de droit?

 

Article publié le 31.10.17, Congo Indépendant